Les Augustins

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Élu pape jeudi 8 mai sous le nom de Léon XIV, Robert Francis Prevost est un religieux augustin. L’ordre de saint Augustin (OSA), ordre mendiant fondé au XIIIe siècle, compte aujourd’hui environ 3 000 membres dans une cinquantaine de pays, principalement en Amérique du Sud, en Asie et en Afrique.

Le futur pape Léon XIV a 18 ans, en 1973, quand il achève ses études secondaires au petit séminaire de l’ordre de saint Augustin (OSA), à Chicago. Il en a 22 quand il entre au noviciat, toujours chez les augustins. À 46 ans, en 2001, le voilà prieur général de l’ordre de saint Augustin, qui est implanté dans une cinquantaine de pays. Sa réélection en vingt minutes, en 2007, pour six autres années, est l’une des plus rapides de l’histoire de cette congrégation.

Il s’agit pourtant d’une histoire longue. Les augustins, dont fait partie Robert Francis Prevost, élu pape jeudi 8 mai à 69 ans, ont été fondés en 1243. Ceux qu’on appelait alors les ermites de saint Augustin rassemblaient initialement plusieurs groupes d’ermites italiens. Depuis le concile Vatican II, ils se nomment tout simplement les augustins.

Ordre mendiant

« Comme les franciscains et les dominicains, les ermites de saint Augustin forment au Moyen Âge un ordre mendiant, dont les membres pouvaient quêter pour assurer leur subsistance », explique le père Benoît Grière, ancien supérieur général des assomptionnistes, une branche plus tardive de la famille augustinienne. L’émergence au XIIIe siècle de ces ordres itinérants, bien différents des ordres traditionnels (les bénédictins, par exemple), est notamment due à l’essor urbain et à la nouvelle donne économique et sociale. Il ne s’agit plus de se retrancher du monde, mais de le rejoindre pour l’évangéliser.

Alors que les règles de saint Basile ou de saint Benoît avaient jusque-là régi la vie monastique, la règle de saint Augustin connaît à cette époque une nouvelle jeunesse. Elle a été édictée au IVe siècle par Augustin d’Hippone, un Romain originaire de l’actuel Maghreb devenu évêque réputé. Sa règle prône un modèle de vie inspiré de celui des premières communautés chrétiennes telles que les décrivent les Actes des Apôtres (4, 32), insistant sur la pauvreté personnelle, la mise en commun des biens et la charité fraternelle.

Le Christ, « Patrie et Voie »

« Ce qui est central dans notre règle, c’est l’amitié fraternelle, basée sur l’humilité : chaque frère doit servir l’autre, se donner pour l’autre », détaille frère Jean Bosco, un augustin du Togo en formation en Belgique. « Le Christ est le monument central, le soubassement de notre vie, ajoute-t-il. Notre vie tourne autour de la connaissance intérieure et intellectuelle du Christ. »

« La spiritualité augustinienne est très christocentrique, confirme le père Benoît Grière. Pour saint Augustin, le Christ est la Patrie et la Voie. » Outre cette place centrale du Christ, qui révèle à tous l’amour gratuit de Dieu, la pensée théologique de saint Augustin se caractérise par l’initiation à l’intériorité et le souci du bien commun. Celui qui a souvent été vu comme « l’inventeur du péché originel » est aussi à l’origine d’une subtile théologie de la grâce, dont l’homme a besoin pour se laisser transformer par Dieu.

Trois siècles après les ermites de saint Augustin, à la fin du XVIe siècle, la famille augustinienne voit naître deux nouveaux ordres mendiants : les augustins récollets, fondé à Tolède, et les augustins déchaux (ou « déchaussés »), en France et en Italie, et ont pour habitude de marcher pieds nus. Suivront, au XIXe siècle, une myriade de congrégations augustiniennes parmi lesquelles les augustins de l’Assomption, aussi appelés « assomptionnistes ». En 1870, ils fondent le groupe de presse Bayard, qui éditeLa Croix.

Sud global

L’ordre de saint Augustin (OSA) compte aujourd’hui environ 3 000 membres dans une cinquantaine de pays. Comme de nombreuses congrégations, son centre de gravité s’est peu à peu déplacé de la vieille Europe vers le Sud global.« Aux Pays-Bas, notamment, plusieurs maisons ont fermé ces dernières années, il y a eu des difficultés de vocations », raconte frère Jean Bosco. En Europe, la congrégation n’est plus guère implantée qu’en Allemagne, en Italie et en Espagne. En France, elle n’a jamais vraiment repris pied après sa suppression lors de la Révolution.

« Les augustins sont également moins nombreux qu’auparavant aux États-Unis et aux Canada, complète le père Benoît Grière. En revanche, ils sont plus dynamiques en Amérique du Sud, en Asie (notamment aux Philippines), en Australie et en Afrique (Kenya, Tanzanie, Nigeria, République démocratique du Congo, etc.). »

« Je suis un fils de saint Augustin, un augustinien », a affirmé le nouveau pape dès sa première apparition au balcon, jeudi 8 mai au soir, citant immédiatement son maître spirituel : « Avec vous, je suis chrétien et pour vous, je suis évêque. » Benoît XVI, déjà, se réclamait de saint Augustin. Il le considérait comme « le plus grand converti de l’histoire de l’Église ».

Au cœur de la spiritualité augustinienne de Léon XIV

  1. Entré dans l’ordre de saint Augustin à 22 ans, le pape Léon XIV est marqué par cette spiritualité centrée sur la vie intérieure, la recherche de la paix et de l’unité.

Dès ses premiers mots à la loggia de la basilique Saint-Pierre, Léon XIV donne le ton. « Je suis un fils de saint Augustin », assure-t-il, avant d’ajouter : « Avec vous, je suis chrétien, et pour vous, je suis évêque. » « Sermon 340 », ​repère immédiatement le père Nicolas Potteau, religieux assomptionniste (suivant la même Règle de saint Augustin) et auteur d’une thèse sur l’évêque ​d’Hippone : « Dès sa première ​homélie, la première impression était celle d’une spiritualité qui met le Christ au centre, dont la ­notion d’unité découle. C’est très augustinien. »

En se présentant aux fidèles, Léon XIV a donc rappelé son ​héritage spirituel. Entré au noviciat de l’ordre de saint Augustin (OSA) en 1977, à l’âge de 22 ans, il prononce ses vœux solennels au sein de ​l’ordre mendiant en 1981, et est ​ordonné en 1982. Il sera élu supérieur général de son ordre religieux en 2001 et le restera jusqu’en 2013. Même comme préfet du dicastère pour les évêques à Rome, le cardinal Prevost garde un attachement marqué à son ordre, se rendant tous les jours à la messe et aux laudes à la curie généralice de l’ordre de saint Augustin.

Mais quelle est vraiment la ­spécificité de la spiritualité augustinienne ? La pensée de l’évêque d’Hippone, par ailleurs docteur de l’Église, a tant irrigué la théologie et la philosophie catholiques dans son ensemble qu’il est presque difficile d’en dessiner les contours – un peu comme si l’on demandait à un poisson si l’eau est bonne, et que celui-ci répondait : « L’eau ? qu’est-ce donc ? ».

« Impossible de parler de la ​spiritualité augustinienne sans ​parler de l’homme, rappelle le père ​Martin Davakan, supérieur provincial de l’OSA en Belgique. Tout ce qu’il a écrit découle directement de son expérience. » Né au IVe siècle à Thagaste, dans ​l’actuelle ​Algérie, Augustin grandit auprès d’une mère chrétienne (sainte Monique) et d’un père païen qui se convertira juste avant sa mort. ​Augustin passe dix ans dans la secte des ­manichéens, avant de vivre une conversion ​fulgurante en 386, à l’âge de 32 ans. « Saint Augustin était un chercheur de Dieu, en recherche permanente de la vérité, rappelle Benoît Grière, ancien supérieur général des ​Augustins de ​l’Assomption, rattachés à l’OSA. Il est très marqué par la quête phi­losophique, le fait de comprendre le monde. Les Augustins sont des chercheurs inlassables de Dieu, ils veulent croire pour comprendre et comprendre pour croire. »

Mais la rencontre avec Dieu précède la connaissance intellectuelle. Longtemps, Augustin ​recherche la vérité, avant d’être comme transpercé par la lecture de la lettre de saint Paul aux ­Romains. « Il découvre que la ​vérité, qui est Dieu, n’est pas en ​dehors de l’homme, mais à l’intérieur de son être-même », rappelle le père ​Martin Davakan, qui cite Augustin dans Les Confessions« Tu étais au-dedans de moi et ​j’étais, moi, en dehors de moi-même ! Et c’est au-dehors que je te cherchais. » Découlera de cette expérience de conversion une théo­logie christocentrique et une insistance sur la grâce, qui ​influencera au XVIe siècle les ​Pères de la Réforme, Martin ​Luther (qui appartenait au même ordre religieux que Léon XIV) et Jean Calvin, tous deux très marqués par la pensée augustinienne. « Un des aspects de cette spiritualité est la quête de Dieu dans l’intériorité, comme ​outil et chemin de conversion pour revenir à Dieu et à soi-même, faire ​silence, discerner, s’écouter et ​apprendre, rappelle le provincial de Belgique. Cet outil permet ​d’être moins stressé, moins nerveux, de prendre du recul sur les décisions… Si tous les grands de ce monde connaissaient la spiritualité augustinienne, le monde irait mieux ! »

Une école de la patience et du discernement dont Léon XIV se réclame volontiers. Au cours de son ­par­cours aux États-Unis, au Pérou ou à Rome, le pape, d’un tempérament calme et discret, s’est souvent positionné comme réformateur prudent. « C’est quelqu’un qui n’est pas pressé, qui prend le temps d’écouter tout le monde, surtout ceux qui ne partagent pas ses convictions », insiste Maurice Sessou, qui a connu ­Robert Prevost en tant que supérieur de l’ordre.

Car un des aspects clé de la spiritualité de saint Augustin est aussi la notion d’unité, rappelée par Léon XIV dans sa devise ​papale. « In illo uno unum », soit en français : « En celui qui est un, soyons un ». Augustin est nommé évêque d’Hippone en 395, dans un contexte de fortes ​divisions au sein de l’Église ​locale. « Il y avait beaucoup de mouvements schismatiques. Des hérésies comme le donatisme (qui défend une pensée ultra rigoriste pour ​laquelle la validité des ​sacrements dépend de la pureté des prêtres, NDLR) existaient ​​de­puis une ​centaine d’années et se ​ re­ven­di­quaient comme les seuls et vrais catholiques, rappelle Benoît Grière. Augustin a tout fait pour favoriser le retour des donatistes dans le ­giron de l’Église. » Si ​l’unité est à préserver abso­lument, cela tient à la notion ​augustinienne du « Christ total » : ​l’Église est le corps du Christ, et celui-ci ne peut pas être divisé.

« Augustin a un vrai vocabulaire de la paix, assure le chanoine Maurice Sessou, de l’abbaye de Saint-Maurice en Suisse, qui suit aussi la Règle de saint ­Augustin. Nous devons toujours tendre vers cette paix, car nous ne pouvons pas vivre dans une même maison en étant déchirés entre nous : paix dans nos communautés, dans ​l’Église, mais aussi paix intérieure. Si nos cœurs ne sont pas en paix, nous ne pourrons pas pacifier le monde. » Un aspect que Léon XIV a déjà illustré lorsque, le 11 mai, celui-ci lance un appel aux grands de ce monde depuis la loggia de la basilique Saint-Pierre : « Plus jamais la guerre ! »

Cet appel à la paix et à l’unité passe aussi par la vie communautaire. Si Augustin n’a jamais écrit de règle monastique à l’instar de saint Benoît, il rédige des conseils pour la vie communautaire. Car même en étant évêque, Augustin vit une bonne partie de sa vie en communauté, d’abord avec des laïcs, puis avec des prêtres. « C’était un homme qui aimait ​vivre entouré d’amis, même avant sa conversion, assure Benoît Grière. Dans la recherche de Dieu, l’amitié et la fraternité sont essentielles. Les membres de la communauté vivent, prient et réfléchissent ensemble, ils partagent leurs expériences spirituelles dans une recherche commune de la vérité. »

Initialement tirée de lettres du docteur de l’Église, la Règle de saint Augustin est proposée comme telle au XIIIe siècle par le pape Innocent IV pour rassembler des chanoines et ermites ​vivant ensemble. Ordre mendiant fondé en 1243, l’ordre de saint ​Augustin se centre autour du service pas­toral, les études, la prédication, le service des pauvres et la mission à l’étranger. « Beaucoup d’ordres dépendent aujourd’hui de cette ​règle, les Augustins sont devenus une famille très large, des Prémontrés aux Récollets, en passant par les Assomptionnistes, avec une identification assez floue, assure le jésuite Patrick Goujon, historien et théologien. Mais tous sont unis par la règle, et le même effort d’humilité. »

Cette dimension de l’humilité apparaît très présente dans la ​Règle de saint Augustin. Aux ​frères qui forment la communauté, il demande à ce que ceux qui étaient ­riches avant d’entrer au monastère ne méprisent pas ceux qui étaient pauvres. « Augustin insiste beaucoup sur l’humilité qui est une attitude, un style de vie du Christ qui s’est abaissé », ​rappelle le chanoine Maurice ​Sessou. Une qualité que le père Martin Davakan apprécie chez Léon XIV, qu’il a connu personnellement. Les deux hommes se rencontrent en 2011 : l’un est supérieur général de l’ordre, l’autre s’apprête à entrer au noviciat. « Il s’adressait à vous avec simplicité et authenticité, comme un membre de l’ordre, rien de plus. Il le fera aussi comme pape. »

Pape augustin, pontificat augustinien ? Car si Léon XIV a beaucoup cité saint Augustin dès son accession au siège de Saint-Pierre, il n’a pas manqué de faire également allusion aux papes François et Léon XIII. « Je vois ces trois inspirations comme les coordonnées GPS de son pontificat : l’appel à ​l’unité d’Augustin, la ​dimension sociale de Léon XIII, la synodalité de François », analyse Patrick Goujon. En tant que ​jésuite, le ​prêtre se souvient de comment le pape argentin a pu le bousculer, en introduisant dès 2013 saint ​Joseph dans la prière eucharistique, ou en s’engageant sur les questions écologiques. « Personne n’aurait pu prédire qu’un jésuite aille dans ces directions ! De même avec Léon XIV : il a beau être ­augustin, ce qui lui donne une direction, nous devrons pouvoir nous laisser surprendre. »

Youna Rivallain in La Croix

Publié le 25 mai 2025

Les Augustins

Élu pape jeudi 8 mai sous le nom de Léon XIV, Robert Francis Prevost est un religieux augustin. L’ordre de saint Augustin (OSA), ordre mendiant fondé au XIIIe siècle, compte aujourd’hui environ 3 000 membres dans une cinquantaine de pays, principalement en Amérique du Sud, en Asie et en Afrique.

Le futur pape Léon XIV a 18 ans, en 1973, quand il achève ses études secondaires au petit séminaire de l’ordre de saint Augustin (OSA), à Chicago. Il en a 22 quand il entre au noviciat, toujours chez les augustins. À 46 ans, en 2001, le voilà prieur général de l’ordre de saint Augustin, qui est implanté dans une cinquantaine de pays. Sa réélection en vingt minutes, en 2007, pour six autres années, est l’une des plus rapides de l’histoire de cette congrégation.

Il s’agit pourtant d’une histoire longue. Les augustins, dont fait partie Robert Francis Prevost, élu pape jeudi 8 mai à 69 ans, ont été fondés en 1243. Ceux qu’on appelait alors les ermites de saint Augustin rassemblaient initialement plusieurs groupes d’ermites italiens. Depuis le concile Vatican II, ils se nomment tout simplement les augustins.

Ordre mendiant

« Comme les franciscains et les dominicains, les ermites de saint Augustin forment au Moyen Âge un ordre mendiant, dont les membres pouvaient quêter pour assurer leur subsistance », explique le père Benoît Grière, ancien supérieur général des assomptionnistes, une branche plus tardive de la famille augustinienne. L’émergence au XIIIe siècle de ces ordres itinérants, bien différents des ordres traditionnels (les bénédictins, par exemple), est notamment due à l’essor urbain et à la nouvelle donne économique et sociale. Il ne s’agit plus de se retrancher du monde, mais de le rejoindre pour l’évangéliser.

Alors que les règles de saint Basile ou de saint Benoît avaient jusque-là régi la vie monastique, la règle de saint Augustin connaît à cette époque une nouvelle jeunesse. Elle a été édictée au IVe siècle par Augustin d’Hippone, un Romain originaire de l’actuel Maghreb devenu évêque réputé. Sa règle prône un modèle de vie inspiré de celui des premières communautés chrétiennes telles que les décrivent les Actes des Apôtres (4, 32), insistant sur la pauvreté personnelle, la mise en commun des biens et la charité fraternelle.

Le Christ, « Patrie et Voie »

« Ce qui est central dans notre règle, c’est l’amitié fraternelle, basée sur l’humilité : chaque frère doit servir l’autre, se donner pour l’autre », détaille frère Jean Bosco, un augustin du Togo en formation en Belgique. « Le Christ est le monument central, le soubassement de notre vie, ajoute-t-il. Notre vie tourne autour de la connaissance intérieure et intellectuelle du Christ. »

« La spiritualité augustinienne est très christocentrique, confirme le père Benoît Grière. Pour saint Augustin, le Christ est la Patrie et la Voie. » Outre cette place centrale du Christ, qui révèle à tous l’amour gratuit de Dieu, la pensée théologique de saint Augustin se caractérise par l’initiation à l’intériorité et le souci du bien commun. Celui qui a souvent été vu comme « l’inventeur du péché originel » est aussi à l’origine d’une subtile théologie de la grâce, dont l’homme a besoin pour se laisser transformer par Dieu.

Trois siècles après les ermites de saint Augustin, à la fin du XVIe siècle, la famille augustinienne voit naître deux nouveaux ordres mendiants : les augustins récollets, fondé à Tolède, et les augustins déchaux (ou « déchaussés »), en France et en Italie, et ont pour habitude de marcher pieds nus. Suivront, au XIXe siècle, une myriade de congrégations augustiniennes parmi lesquelles les augustins de l’Assomption, aussi appelés « assomptionnistes ». En 1870, ils fondent le groupe de presse Bayard, qui éditeLa Croix.

Sud global

L’ordre de saint Augustin (OSA) compte aujourd’hui environ 3 000 membres dans une cinquantaine de pays. Comme de nombreuses congrégations, son centre de gravité s’est peu à peu déplacé de la vieille Europe vers le Sud global.« Aux Pays-Bas, notamment, plusieurs maisons ont fermé ces dernières années, il y a eu des difficultés de vocations », raconte frère Jean Bosco. En Europe, la congrégation n’est plus guère implantée qu’en Allemagne, en Italie et en Espagne. En France, elle n’a jamais vraiment repris pied après sa suppression lors de la Révolution.

« Les augustins sont également moins nombreux qu’auparavant aux États-Unis et aux Canada, complète le père Benoît Grière. En revanche, ils sont plus dynamiques en Amérique du Sud, en Asie (notamment aux Philippines), en Australie et en Afrique (Kenya, Tanzanie, Nigeria, République démocratique du Congo, etc.). »

« Je suis un fils de saint Augustin, un augustinien », a affirmé le nouveau pape dès sa première apparition au balcon, jeudi 8 mai au soir, citant immédiatement son maître spirituel : « Avec vous, je suis chrétien et pour vous, je suis évêque. » Benoît XVI, déjà, se réclamait de saint Augustin. Il le considérait comme « le plus grand converti de l’histoire de l’Église ».

Au cœur de la spiritualité augustinienne de Léon XIV

  1. Entré dans l’ordre de saint Augustin à 22 ans, le pape Léon XIV est marqué par cette spiritualité centrée sur la vie intérieure, la recherche de la paix et de l’unité.

Dès ses premiers mots à la loggia de la basilique Saint-Pierre, Léon XIV donne le ton. « Je suis un fils de saint Augustin », assure-t-il, avant d’ajouter : « Avec vous, je suis chrétien, et pour vous, je suis évêque. » « Sermon 340 », ​repère immédiatement le père Nicolas Potteau, religieux assomptionniste (suivant la même Règle de saint Augustin) et auteur d’une thèse sur l’évêque ​d’Hippone : « Dès sa première ​homélie, la première impression était celle d’une spiritualité qui met le Christ au centre, dont la ­notion d’unité découle. C’est très augustinien. »

En se présentant aux fidèles, Léon XIV a donc rappelé son ​héritage spirituel. Entré au noviciat de l’ordre de saint Augustin (OSA) en 1977, à l’âge de 22 ans, il prononce ses vœux solennels au sein de ​l’ordre mendiant en 1981, et est ​ordonné en 1982. Il sera élu supérieur général de son ordre religieux en 2001 et le restera jusqu’en 2013. Même comme préfet du dicastère pour les évêques à Rome, le cardinal Prevost garde un attachement marqué à son ordre, se rendant tous les jours à la messe et aux laudes à la curie généralice de l’ordre de saint Augustin.

Mais quelle est vraiment la ­spécificité de la spiritualité augustinienne ? La pensée de l’évêque d’Hippone, par ailleurs docteur de l’Église, a tant irrigué la théologie et la philosophie catholiques dans son ensemble qu’il est presque difficile d’en dessiner les contours – un peu comme si l’on demandait à un poisson si l’eau est bonne, et que celui-ci répondait : « L’eau ? qu’est-ce donc ? ».

« Impossible de parler de la ​spiritualité augustinienne sans ​parler de l’homme, rappelle le père ​Martin Davakan, supérieur provincial de l’OSA en Belgique. Tout ce qu’il a écrit découle directement de son expérience. » Né au IVe siècle à Thagaste, dans ​l’actuelle ​Algérie, Augustin grandit auprès d’une mère chrétienne (sainte Monique) et d’un père païen qui se convertira juste avant sa mort. ​Augustin passe dix ans dans la secte des ­manichéens, avant de vivre une conversion ​fulgurante en 386, à l’âge de 32 ans. « Saint Augustin était un chercheur de Dieu, en recherche permanente de la vérité, rappelle Benoît Grière, ancien supérieur général des ​Augustins de ​l’Assomption, rattachés à l’OSA. Il est très marqué par la quête phi­losophique, le fait de comprendre le monde. Les Augustins sont des chercheurs inlassables de Dieu, ils veulent croire pour comprendre et comprendre pour croire. »

Mais la rencontre avec Dieu précède la connaissance intellectuelle. Longtemps, Augustin ​recherche la vérité, avant d’être comme transpercé par la lecture de la lettre de saint Paul aux ­Romains. « Il découvre que la ​vérité, qui est Dieu, n’est pas en ​dehors de l’homme, mais à l’intérieur de son être-même », rappelle le père ​Martin Davakan, qui cite Augustin dans Les Confessions« Tu étais au-dedans de moi et ​j’étais, moi, en dehors de moi-même ! Et c’est au-dehors que je te cherchais. » Découlera de cette expérience de conversion une théo­logie christocentrique et une insistance sur la grâce, qui ​influencera au XVIe siècle les ​Pères de la Réforme, Martin ​Luther (qui appartenait au même ordre religieux que Léon XIV) et Jean Calvin, tous deux très marqués par la pensée augustinienne. « Un des aspects de cette spiritualité est la quête de Dieu dans l’intériorité, comme ​outil et chemin de conversion pour revenir à Dieu et à soi-même, faire ​silence, discerner, s’écouter et ​apprendre, rappelle le provincial de Belgique. Cet outil permet ​d’être moins stressé, moins nerveux, de prendre du recul sur les décisions… Si tous les grands de ce monde connaissaient la spiritualité augustinienne, le monde irait mieux ! »

Une école de la patience et du discernement dont Léon XIV se réclame volontiers. Au cours de son ­par­cours aux États-Unis, au Pérou ou à Rome, le pape, d’un tempérament calme et discret, s’est souvent positionné comme réformateur prudent. « C’est quelqu’un qui n’est pas pressé, qui prend le temps d’écouter tout le monde, surtout ceux qui ne partagent pas ses convictions », insiste Maurice Sessou, qui a connu ­Robert Prevost en tant que supérieur de l’ordre.

Car un des aspects clé de la spiritualité de saint Augustin est aussi la notion d’unité, rappelée par Léon XIV dans sa devise ​papale. « In illo uno unum », soit en français : « En celui qui est un, soyons un ». Augustin est nommé évêque d’Hippone en 395, dans un contexte de fortes ​divisions au sein de l’Église ​locale. « Il y avait beaucoup de mouvements schismatiques. Des hérésies comme le donatisme (qui défend une pensée ultra rigoriste pour ​laquelle la validité des ​sacrements dépend de la pureté des prêtres, NDLR) existaient ​​de­puis une ​centaine d’années et se ​ re­ven­di­quaient comme les seuls et vrais catholiques, rappelle Benoît Grière. Augustin a tout fait pour favoriser le retour des donatistes dans le ­giron de l’Église. » Si ​l’unité est à préserver abso­lument, cela tient à la notion ​augustinienne du « Christ total » : ​l’Église est le corps du Christ, et celui-ci ne peut pas être divisé.

« Augustin a un vrai vocabulaire de la paix, assure le chanoine Maurice Sessou, de l’abbaye de Saint-Maurice en Suisse, qui suit aussi la Règle de saint ­Augustin. Nous devons toujours tendre vers cette paix, car nous ne pouvons pas vivre dans une même maison en étant déchirés entre nous : paix dans nos communautés, dans ​l’Église, mais aussi paix intérieure. Si nos cœurs ne sont pas en paix, nous ne pourrons pas pacifier le monde. » Un aspect que Léon XIV a déjà illustré lorsque, le 11 mai, celui-ci lance un appel aux grands de ce monde depuis la loggia de la basilique Saint-Pierre : « Plus jamais la guerre ! »

Cet appel à la paix et à l’unité passe aussi par la vie communautaire. Si Augustin n’a jamais écrit de règle monastique à l’instar de saint Benoît, il rédige des conseils pour la vie communautaire. Car même en étant évêque, Augustin vit une bonne partie de sa vie en communauté, d’abord avec des laïcs, puis avec des prêtres. « C’était un homme qui aimait ​vivre entouré d’amis, même avant sa conversion, assure Benoît Grière. Dans la recherche de Dieu, l’amitié et la fraternité sont essentielles. Les membres de la communauté vivent, prient et réfléchissent ensemble, ils partagent leurs expériences spirituelles dans une recherche commune de la vérité. »

Initialement tirée de lettres du docteur de l’Église, la Règle de saint Augustin est proposée comme telle au XIIIe siècle par le pape Innocent IV pour rassembler des chanoines et ermites ​vivant ensemble. Ordre mendiant fondé en 1243, l’ordre de saint ​Augustin se centre autour du service pas­toral, les études, la prédication, le service des pauvres et la mission à l’étranger. « Beaucoup d’ordres dépendent aujourd’hui de cette ​règle, les Augustins sont devenus une famille très large, des Prémontrés aux Récollets, en passant par les Assomptionnistes, avec une identification assez floue, assure le jésuite Patrick Goujon, historien et théologien. Mais tous sont unis par la règle, et le même effort d’humilité. »

Cette dimension de l’humilité apparaît très présente dans la ​Règle de saint Augustin. Aux ​frères qui forment la communauté, il demande à ce que ceux qui étaient ­riches avant d’entrer au monastère ne méprisent pas ceux qui étaient pauvres. « Augustin insiste beaucoup sur l’humilité qui est une attitude, un style de vie du Christ qui s’est abaissé », ​rappelle le chanoine Maurice ​Sessou. Une qualité que le père Martin Davakan apprécie chez Léon XIV, qu’il a connu personnellement. Les deux hommes se rencontrent en 2011 : l’un est supérieur général de l’ordre, l’autre s’apprête à entrer au noviciat. « Il s’adressait à vous avec simplicité et authenticité, comme un membre de l’ordre, rien de plus. Il le fera aussi comme pape. »

Pape augustin, pontificat augustinien ? Car si Léon XIV a beaucoup cité saint Augustin dès son accession au siège de Saint-Pierre, il n’a pas manqué de faire également allusion aux papes François et Léon XIII. « Je vois ces trois inspirations comme les coordonnées GPS de son pontificat : l’appel à ​l’unité d’Augustin, la ​dimension sociale de Léon XIII, la synodalité de François », analyse Patrick Goujon. En tant que ​jésuite, le ​prêtre se souvient de comment le pape argentin a pu le bousculer, en introduisant dès 2013 saint ​Joseph dans la prière eucharistique, ou en s’engageant sur les questions écologiques. « Personne n’aurait pu prédire qu’un jésuite aille dans ces directions ! De même avec Léon XIV : il a beau être ­augustin, ce qui lui donne une direction, nous devrons pouvoir nous laisser surprendre. »

Youna Rivallain in La Croix

Publié le 25 mai 2025

Les Augustins

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Élu pape jeudi 8 mai sous le nom de Léon XIV, Robert Francis Prevost est un religieux augustin. L’ordre de saint Augustin (OSA), ordre mendiant fondé au XIIIe siècle, compte aujourd’hui environ 3 000 membres dans une cinquantaine de pays, principalement en Amérique du Sud, en Asie et en Afrique.

Le futur pape Léon XIV a 18 ans, en 1973, quand il achève ses études secondaires au petit séminaire de l’ordre de saint Augustin (OSA), à Chicago. Il en a 22 quand il entre au noviciat, toujours chez les augustins. À 46 ans, en 2001, le voilà prieur général de l’ordre de saint Augustin, qui est implanté dans une cinquantaine de pays. Sa réélection en vingt minutes, en 2007, pour six autres années, est l’une des plus rapides de l’histoire de cette congrégation.

Il s’agit pourtant d’une histoire longue. Les augustins, dont fait partie Robert Francis Prevost, élu pape jeudi 8 mai à 69 ans, ont été fondés en 1243. Ceux qu’on appelait alors les ermites de saint Augustin rassemblaient initialement plusieurs groupes d’ermites italiens. Depuis le concile Vatican II, ils se nomment tout simplement les augustins.

Ordre mendiant

« Comme les franciscains et les dominicains, les ermites de saint Augustin forment au Moyen Âge un ordre mendiant, dont les membres pouvaient quêter pour assurer leur subsistance », explique le père Benoît Grière, ancien supérieur général des assomptionnistes, une branche plus tardive de la famille augustinienne. L’émergence au XIIIe siècle de ces ordres itinérants, bien différents des ordres traditionnels (les bénédictins, par exemple), est notamment due à l’essor urbain et à la nouvelle donne économique et sociale. Il ne s’agit plus de se retrancher du monde, mais de le rejoindre pour l’évangéliser.

Alors que les règles de saint Basile ou de saint Benoît avaient jusque-là régi la vie monastique, la règle de saint Augustin connaît à cette époque une nouvelle jeunesse. Elle a été édictée au IVe siècle par Augustin d’Hippone, un Romain originaire de l’actuel Maghreb devenu évêque réputé. Sa règle prône un modèle de vie inspiré de celui des premières communautés chrétiennes telles que les décrivent les Actes des Apôtres (4, 32), insistant sur la pauvreté personnelle, la mise en commun des biens et la charité fraternelle.

Le Christ, « Patrie et Voie »

« Ce qui est central dans notre règle, c’est l’amitié fraternelle, basée sur l’humilité : chaque frère doit servir l’autre, se donner pour l’autre », détaille frère Jean Bosco, un augustin du Togo en formation en Belgique. « Le Christ est le monument central, le soubassement de notre vie, ajoute-t-il. Notre vie tourne autour de la connaissance intérieure et intellectuelle du Christ. »

« La spiritualité augustinienne est très christocentrique, confirme le père Benoît Grière. Pour saint Augustin, le Christ est la Patrie et la Voie. » Outre cette place centrale du Christ, qui révèle à tous l’amour gratuit de Dieu, la pensée théologique de saint Augustin se caractérise par l’initiation à l’intériorité et le souci du bien commun. Celui qui a souvent été vu comme « l’inventeur du péché originel » est aussi à l’origine d’une subtile théologie de la grâce, dont l’homme a besoin pour se laisser transformer par Dieu.

Trois siècles après les ermites de saint Augustin, à la fin du XVIe siècle, la famille augustinienne voit naître deux nouveaux ordres mendiants : les augustins récollets, fondé à Tolède, et les augustins déchaux (ou « déchaussés »), en France et en Italie, et ont pour habitude de marcher pieds nus. Suivront, au XIXe siècle, une myriade de congrégations augustiniennes parmi lesquelles les augustins de l’Assomption, aussi appelés « assomptionnistes ». En 1870, ils fondent le groupe de presse Bayard, qui éditeLa Croix.

Sud global

L’ordre de saint Augustin (OSA) compte aujourd’hui environ 3 000 membres dans une cinquantaine de pays. Comme de nombreuses congrégations, son centre de gravité s’est peu à peu déplacé de la vieille Europe vers le Sud global.« Aux Pays-Bas, notamment, plusieurs maisons ont fermé ces dernières années, il y a eu des difficultés de vocations », raconte frère Jean Bosco. En Europe, la congrégation n’est plus guère implantée qu’en Allemagne, en Italie et en Espagne. En France, elle n’a jamais vraiment repris pied après sa suppression lors de la Révolution.

« Les augustins sont également moins nombreux qu’auparavant aux États-Unis et aux Canada, complète le père Benoît Grière. En revanche, ils sont plus dynamiques en Amérique du Sud, en Asie (notamment aux Philippines), en Australie et en Afrique (Kenya, Tanzanie, Nigeria, République démocratique du Congo, etc.). »

« Je suis un fils de saint Augustin, un augustinien », a affirmé le nouveau pape dès sa première apparition au balcon, jeudi 8 mai au soir, citant immédiatement son maître spirituel : « Avec vous, je suis chrétien et pour vous, je suis évêque. » Benoît XVI, déjà, se réclamait de saint Augustin. Il le considérait comme « le plus grand converti de l’histoire de l’Église ».

Au cœur de la spiritualité augustinienne de Léon XIV

  1. Entré dans l’ordre de saint Augustin à 22 ans, le pape Léon XIV est marqué par cette spiritualité centrée sur la vie intérieure, la recherche de la paix et de l’unité.

Dès ses premiers mots à la loggia de la basilique Saint-Pierre, Léon XIV donne le ton. « Je suis un fils de saint Augustin », assure-t-il, avant d’ajouter : « Avec vous, je suis chrétien, et pour vous, je suis évêque. » « Sermon 340 », ​repère immédiatement le père Nicolas Potteau, religieux assomptionniste (suivant la même Règle de saint Augustin) et auteur d’une thèse sur l’évêque ​d’Hippone : « Dès sa première ​homélie, la première impression était celle d’une spiritualité qui met le Christ au centre, dont la ­notion d’unité découle. C’est très augustinien. »

En se présentant aux fidèles, Léon XIV a donc rappelé son ​héritage spirituel. Entré au noviciat de l’ordre de saint Augustin (OSA) en 1977, à l’âge de 22 ans, il prononce ses vœux solennels au sein de ​l’ordre mendiant en 1981, et est ​ordonné en 1982. Il sera élu supérieur général de son ordre religieux en 2001 et le restera jusqu’en 2013. Même comme préfet du dicastère pour les évêques à Rome, le cardinal Prevost garde un attachement marqué à son ordre, se rendant tous les jours à la messe et aux laudes à la curie généralice de l’ordre de saint Augustin.

Mais quelle est vraiment la ­spécificité de la spiritualité augustinienne ? La pensée de l’évêque d’Hippone, par ailleurs docteur de l’Église, a tant irrigué la théologie et la philosophie catholiques dans son ensemble qu’il est presque difficile d’en dessiner les contours – un peu comme si l’on demandait à un poisson si l’eau est bonne, et que celui-ci répondait : « L’eau ? qu’est-ce donc ? ».

« Impossible de parler de la ​spiritualité augustinienne sans ​parler de l’homme, rappelle le père ​Martin Davakan, supérieur provincial de l’OSA en Belgique. Tout ce qu’il a écrit découle directement de son expérience. » Né au IVe siècle à Thagaste, dans ​l’actuelle ​Algérie, Augustin grandit auprès d’une mère chrétienne (sainte Monique) et d’un père païen qui se convertira juste avant sa mort. ​Augustin passe dix ans dans la secte des ­manichéens, avant de vivre une conversion ​fulgurante en 386, à l’âge de 32 ans. « Saint Augustin était un chercheur de Dieu, en recherche permanente de la vérité, rappelle Benoît Grière, ancien supérieur général des ​Augustins de ​l’Assomption, rattachés à l’OSA. Il est très marqué par la quête phi­losophique, le fait de comprendre le monde. Les Augustins sont des chercheurs inlassables de Dieu, ils veulent croire pour comprendre et comprendre pour croire. »

Mais la rencontre avec Dieu précède la connaissance intellectuelle. Longtemps, Augustin ​recherche la vérité, avant d’être comme transpercé par la lecture de la lettre de saint Paul aux ­Romains. « Il découvre que la ​vérité, qui est Dieu, n’est pas en ​dehors de l’homme, mais à l’intérieur de son être-même », rappelle le père ​Martin Davakan, qui cite Augustin dans Les Confessions« Tu étais au-dedans de moi et ​j’étais, moi, en dehors de moi-même ! Et c’est au-dehors que je te cherchais. » Découlera de cette expérience de conversion une théo­logie christocentrique et une insistance sur la grâce, qui ​influencera au XVIe siècle les ​Pères de la Réforme, Martin ​Luther (qui appartenait au même ordre religieux que Léon XIV) et Jean Calvin, tous deux très marqués par la pensée augustinienne. « Un des aspects de cette spiritualité est la quête de Dieu dans l’intériorité, comme ​outil et chemin de conversion pour revenir à Dieu et à soi-même, faire ​silence, discerner, s’écouter et ​apprendre, rappelle le provincial de Belgique. Cet outil permet ​d’être moins stressé, moins nerveux, de prendre du recul sur les décisions… Si tous les grands de ce monde connaissaient la spiritualité augustinienne, le monde irait mieux ! »

Une école de la patience et du discernement dont Léon XIV se réclame volontiers. Au cours de son ­par­cours aux États-Unis, au Pérou ou à Rome, le pape, d’un tempérament calme et discret, s’est souvent positionné comme réformateur prudent. « C’est quelqu’un qui n’est pas pressé, qui prend le temps d’écouter tout le monde, surtout ceux qui ne partagent pas ses convictions », insiste Maurice Sessou, qui a connu ­Robert Prevost en tant que supérieur de l’ordre.

Car un des aspects clé de la spiritualité de saint Augustin est aussi la notion d’unité, rappelée par Léon XIV dans sa devise ​papale. « In illo uno unum », soit en français : « En celui qui est un, soyons un ». Augustin est nommé évêque d’Hippone en 395, dans un contexte de fortes ​divisions au sein de l’Église ​locale. « Il y avait beaucoup de mouvements schismatiques. Des hérésies comme le donatisme (qui défend une pensée ultra rigoriste pour ​laquelle la validité des ​sacrements dépend de la pureté des prêtres, NDLR) existaient ​​de­puis une ​centaine d’années et se ​ re­ven­di­quaient comme les seuls et vrais catholiques, rappelle Benoît Grière. Augustin a tout fait pour favoriser le retour des donatistes dans le ­giron de l’Église. » Si ​l’unité est à préserver abso­lument, cela tient à la notion ​augustinienne du « Christ total » : ​l’Église est le corps du Christ, et celui-ci ne peut pas être divisé.

« Augustin a un vrai vocabulaire de la paix, assure le chanoine Maurice Sessou, de l’abbaye de Saint-Maurice en Suisse, qui suit aussi la Règle de saint ­Augustin. Nous devons toujours tendre vers cette paix, car nous ne pouvons pas vivre dans une même maison en étant déchirés entre nous : paix dans nos communautés, dans ​l’Église, mais aussi paix intérieure. Si nos cœurs ne sont pas en paix, nous ne pourrons pas pacifier le monde. » Un aspect que Léon XIV a déjà illustré lorsque, le 11 mai, celui-ci lance un appel aux grands de ce monde depuis la loggia de la basilique Saint-Pierre : « Plus jamais la guerre ! »

Cet appel à la paix et à l’unité passe aussi par la vie communautaire. Si Augustin n’a jamais écrit de règle monastique à l’instar de saint Benoît, il rédige des conseils pour la vie communautaire. Car même en étant évêque, Augustin vit une bonne partie de sa vie en communauté, d’abord avec des laïcs, puis avec des prêtres. « C’était un homme qui aimait ​vivre entouré d’amis, même avant sa conversion, assure Benoît Grière. Dans la recherche de Dieu, l’amitié et la fraternité sont essentielles. Les membres de la communauté vivent, prient et réfléchissent ensemble, ils partagent leurs expériences spirituelles dans une recherche commune de la vérité. »

Initialement tirée de lettres du docteur de l’Église, la Règle de saint Augustin est proposée comme telle au XIIIe siècle par le pape Innocent IV pour rassembler des chanoines et ermites ​vivant ensemble. Ordre mendiant fondé en 1243, l’ordre de saint ​Augustin se centre autour du service pas­toral, les études, la prédication, le service des pauvres et la mission à l’étranger. « Beaucoup d’ordres dépendent aujourd’hui de cette ​règle, les Augustins sont devenus une famille très large, des Prémontrés aux Récollets, en passant par les Assomptionnistes, avec une identification assez floue, assure le jésuite Patrick Goujon, historien et théologien. Mais tous sont unis par la règle, et le même effort d’humilité. »

Cette dimension de l’humilité apparaît très présente dans la ​Règle de saint Augustin. Aux ​frères qui forment la communauté, il demande à ce que ceux qui étaient ­riches avant d’entrer au monastère ne méprisent pas ceux qui étaient pauvres. « Augustin insiste beaucoup sur l’humilité qui est une attitude, un style de vie du Christ qui s’est abaissé », ​rappelle le chanoine Maurice ​Sessou. Une qualité que le père Martin Davakan apprécie chez Léon XIV, qu’il a connu personnellement. Les deux hommes se rencontrent en 2011 : l’un est supérieur général de l’ordre, l’autre s’apprête à entrer au noviciat. « Il s’adressait à vous avec simplicité et authenticité, comme un membre de l’ordre, rien de plus. Il le fera aussi comme pape. »

Pape augustin, pontificat augustinien ? Car si Léon XIV a beaucoup cité saint Augustin dès son accession au siège de Saint-Pierre, il n’a pas manqué de faire également allusion aux papes François et Léon XIII. « Je vois ces trois inspirations comme les coordonnées GPS de son pontificat : l’appel à ​l’unité d’Augustin, la ​dimension sociale de Léon XIII, la synodalité de François », analyse Patrick Goujon. En tant que ​jésuite, le ​prêtre se souvient de comment le pape argentin a pu le bousculer, en introduisant dès 2013 saint ​Joseph dans la prière eucharistique, ou en s’engageant sur les questions écologiques. « Personne n’aurait pu prédire qu’un jésuite aille dans ces directions ! De même avec Léon XIV : il a beau être ­augustin, ce qui lui donne une direction, nous devrons pouvoir nous laisser surprendre. »

Youna Rivallain in La Croix

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Publié le 25 mai 2025