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Le sacrement des malades

Le sacrement des malades

Dans l’Antiquité les applications d’huile avaient un effet curatif sur certaines blessures. Certains textes anciens nous parlent d’une huile qui coulait de l’arbre du Paradis et qui guérissait les malades. Le texte le plus explicite sur le sacrement des malades est celui de l’Épître de saint Jacques (5, 14-16) :

Jc 5:14- Quelqu’un parmi vous est-il malade ? Qu’il appelle les presbytres de l’Église et qu’ils prient sur lui après l’avoir oint d’huile au nom du Seigneur.
Jc 5:15- La prière de la foi sauvera le patient et le Seigneur le relèvera. S’il a commis des péchés, ils lui seront remis.
Jc 5:16- Confessez donc vos péchés les uns aux autres et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris. La supplication fervente du juste a beaucoup de puissance.

 Il est bien clair que cette prescription de l’apôtre Jacques se situe dans le prolongement de l’action de Jésus lui-même.

Si à partir de ses plus anciennes attestations au 3ème Siècle, le rituel de l’onction des malades est employé principalement en vue de la guérison du corps, cette onction prend progressivement la forme du dernier sacrement des mourants (et plus seulement des malades), à partir notamment de l’époque carolingienne et de son association avec le viatique (le viatique est l’eucharistie, corps du Christ, donnée à un mourant. Le geste a le même sens que dans l’emploi commun du mot, tout en recouvrant une symbolique religieuse. C’est-à-dire que le pain de vie qu’est l’eucharistie est donné à un mourant qui se prépare au « voyage » qu’est le passage de la vie terrestre à la vie éternelle.) et la dernière confession (in articulo mortis).

 En 1173, le sacrement des malades prend le nom « d’extrême-onction ». L’Église insiste davantage sur la paix avec Dieu, ce sacrement agit pour le salut de l’âme. Il était donné aux mourants, il est ouvert une petite porte aux malades.

Le Concile de Trente en 1551 affirme à propos de l’extrême onction : « Cette onction sainte des malades a été instituée par le Christ notre Seigneur comme un sacrement du Nouveau Testament, véritablement et proprement dit, institué par Marc (6, 13),

Mc 6:13- et ils chassaient beaucoup de démons et faisaient des onctions d’huile à de nombreux infirmes et les guérissaient.

Seuls les évêques et les prêtres sont habilités à conférer l’onction des malades.

C’est en 1972, dans le cadre de la réforme de la liturgie initiée par le concile Vatican II, que la liturgie du sacrement des malades, encore appelée onction des malades, est rénovée.

Bénédicte Mariolle est Petite sœur des pauvres, professeure de théologie sacramentaire, auteure de Les Sacrements à l’approche de la mort (Cerf). Elle invite à redécouvrir les différentes liturgies possibles que propose le Rituel des sacrements pour les malades dans l’accompagnement des mourants, riches de sens et d’humanité.

  • Propos recueillis par Florence Chatel et Christel Juquois,
  • le 28/10/2022 à 08:53

Extrême-onction et viatique autrefois, sacrement des malades aujourd’hui… Comment l’Église catholique accompagne-t-elle les mourants, et pourquoi les pratiques ont-elles changé ?

Bénédicte Mariolle : On constate aujourd’hui un certain flou liturgique autour de la mort, qui résulte de l’histoire. Jusqu’au concile Vatican II, le rite qui marquait le moment de la mort était l’extrême-onction. Ce sacrement, d’abord destiné aux malades, a été progressivement associé à la mort au cours du Moyen Âge. Il est devenu à partir du XIIe siècle le dernier sacrement (extrema unctio). Associé au sacrement de réconciliation et à l’eucharistie, il avait pris le sens d’une préparation à la vie éternelle. Mais à la veille du concile, de nombreux prêtres et évêques ont souligné les difficultés pastorales rencontrées par cette pratique rituelle. En effet, le plus souvent, les proches n’appelaient le prêtre qu’au tout dernier moment, quand la personne était déjà inconsciente. Le concile a alors voulu réhabiliter le sens originel de ce sacrement, destiné à tous les malades et non aux seuls mourants, recevable plusieurs fois et non pas seulement aux derniers moments.

La restauration de l’onction des malades a donc été activement mise en œuvre après le concile, dans les aumôneries d’hôpitaux, dans les maisons de retraite, dans les pèlerinages à Lourdes… Mais, du coup, on s’est recentré sur les malades en négligeant l’accompagnement de la mort. Il faut dire que c’était une époque où la mort, de plus en plus médicalisée, a disparu des réalités familières de la vie pour devenir un sujet tabou.

Aujourd’hui, les jeunes séminaristes ne sont plus du tout formés à accompagner les mourants. Ils ont eux-mêmes rarement vu quelqu’un mourir… Tout cela a créé une espèce de vide, et les aumôniers ne savent plus très bien quoi faire. Certains jeunes prêtres reviennent à la pratique de l’extrême-onction, dont ils n’ont pas connu les limites, tandis que les plus anciens s’en tiennent farouchement au sacrement des malades. Les équipes d’aumôneries sont parfois prises entre les deux tendances. Le Rituel donne pourtant d’autres pistes.

De quel rituel parlez-vous ?

BM. :Il s’agit du Rituel des sacrements pour les malades, qui a été rénové dans la foulée du concile et regroupe toutes les actions de l’Église en faveur des malades et des mourants. Il a été promulgué en 1972 et sa version francophone, que l’on utilise encore aujourd’hui, a été publiée en 1976.

La première partie concerne les malades. La deuxième concerne les mourants, pour lesquels l’Église propose deux autres actions liturgiques : le viatique, c’est-à-dire la communion que l’on apporte un peu solennellement à la personne en fin de vie et son entourage, et la « recommandation des mourants », une très belle liturgie par laquelle l’Église porte celui qui meurt vers l’éternité, manifestant la communion du Royaume dans lequel il s’apprête à entrer. Celui qui meurt vit sa dernière Pâque avec le Christ. La Résurrection est déjà là, l’Église manifestant le corps ressuscité du Christ. Ce sont des liturgies très anciennes.

Ces liturgies, notamment la « recommandation des mourants », sont très peu connues… Sont-elles difficiles à mettre en œuvre ?

BM. :La recommandation est une liturgie très simple, qu’un laïc peut parfaitement présider, contrairement à l’extrême-onction qui nécessite la présence d’un clerc et l’accord de la famille. Elle est éprouvée par une longue tradition et peut se mettre en place très facilement : un laïc de l’équipe d’aumônerie, avec une personne de la famille et un soignant, peuvent suffire à signifier que l’Église est là et que la personne ne meurt pas seule. De plus, c’est une liturgie qui ouvre un avenir, ce qui est très réconfortant.

Elle se déroule en quatre temps. Quand le moment de la mort tarde à venir, et selon le chemin de foi de celui qui meurt et de sa famille, on peut commencer par quelques prières. Quand on sent que le moment de la mort est imminent, on dit la prière de recommandation, une très belle prière qui remonte au IVe ou au Ve siècle. Quand la personne a rendu son dernier souffle, celui ou celle qui préside fait le « geste de l’assignation », un signe de croix qui renvoie à celui qui est fait au moment du baptême. Car ce qui nous fait entrer dans l’Église, c’est le baptême, et ce qui accomplit le baptême, c’est l’entrée dans la vie éternelle. Enfin, le dernier temps est davantage tourné vers la famille, avec des paroles de réconfort, de confiance et d’espérance.

Quelle est la différence entre extrême-onction, sacrement des malades, viatique et recommandation ?

BM. : L’extrême-onction mettait l’accent sur le pardon des péchés et le jugement au moment de la mort, tandis que le sacrement des malades met en avant le don du salut comme une force qui aide à vivre la maladie. Quant au viatique et à la recommandation, ils accompagnent la fin d’une vie qui s’achève, en signifiant l’achèvement du chemin de vie commencé au baptême et la pleine participation du défunt au corps ressuscité du Christ.

Quand j’ai commencé à travailler sur ce sujet pour écrire ma thèse, je me suis penchée sur les premiers Rituels de l’accompagnement des mourants, qui datent du VIIe siècle. Ces rituels fixaient des pratiques qui remontent aux origines de l’Église. Le concile de Nicée, en 325, parle déjà du viatique comme d’une « tradition antique ». Dès l’origine, les chrétiens ont vu un lien entre la mort et l’eucharistie, parce qu’en Jean 6, 54, Jésus dit : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi je le ressusciterai au dernier jour. » Ce qui a fait comprendre la mort comme une Pâque, un passage où l’on ressuscite avec le Christ.

J’ai découvert ces premiers Rituels avec émerveillement. Il y est dit au début, en parlant du mourant : « Dès qu’il approchera de son Exode », ce qui évoque d’emblée la sortie d’Égypte et le passage de la mer Rouge. « On réunira la communauté » : l’Église fait corps autour du mourant. Celui qui meurt ne meurt pas seul, il est greffé dans le corps du Christ. Ensuite, on lui donne l’eucharistie comme le moyen de vivre sa dernière Pâque, ce qui confère à la mort un sens de vie. Communier, c’est communier au corps du Christ mort et ressuscité, c’est passer la mort avec le Christ pour ressusciter avec lui, comme le dit Jean. Il y a dans tout cela un sens baptismal très fort. Dans la façon dont le rituel se déroule, on comprend que ce qui a été commencé au baptême, qui nous a déjà plongés dans la mort et la résurrection du Christ, s’accomplit existentiellement dans la mort. Dans cette perspective, la mort est l’accomplissement du baptême.

Cette liturgie ancienne ne voit pas du tout la mort comme le moment d’un jugement ou comme le salaire du péché, comme on le fera dans les siècles suivants. C’est une liturgie confiante, festive, tout orientée vers la résurrection de la chair. On accompagne celui qui vit son dernier passage, et c’est toute l’Église qui en même temps accompagne ce passage et le vit en l’un de ses membres. Quand un de ses membres passe la porte, c’est tout le corps ecclésial qui ressuscite avec lui.

Quel effet le fait de porter la communion au mourant peut-il avoir au moment de sa mort ?

BM. :La marque eucharistique sur la mort éclaire d’un jour nouveau toute notre existence. Celle-ci est une existence eucharistique, dans le sens où nous la recevons comme un don. La vie éternelle nous est déjà donnée dans le baptême, et la perspective eucharistique qui est placée sur la mort nous dit que toute notre existence devrait être une réponse au don qui nous est fait. « Eucharistein», en grec, signifie « rendre grâce ». Tout nous est donné, et la dynamique de notre vie est une dynamique d’accueil et de don. Notre dernière action de grâce, notre dernière eucharistie, dans cette perspective ancienne, c’est la mort qui est le retour à Dieu de toute notre existence avec tout son lot d’amour, d’épreuves ou de batailles, qui ne se perd pas dans un non-sens à ce moment-là mais se charge d’un poids d’éternité. C’est ce qui est offert à Dieu lors de la dernière eucharistie célébrée avec le mourant ou auprès du mort.

Vivre ce moment avec la personne en fin de vie, c’est lui permettre d’achever et d’offrir elle-même son existence. Quand on accompagne des mourants, on sent qu’il y a des personnes qui meurent vivantes. Leur mort est leur dernier acte de vie, elle est tournée vers la vie. Avec de telles personnes, j’ai eu le sentiment de toucher l’éternité, d’être un passeur qui les accompagne jusqu’à l’extrême limite où je ne peux pas les suivre. J’essaie de les aider à faire de leurs derniers moments un acte d’offrande et de liberté, que l’on célèbre ensuite dans les funérailles avec leurs proches. Faire partie d’une communauté chrétienne qui montre l’espérance à ce moment-là, c’est décisif pour annoncer cette espérance.

Que faire quand la personne qui meurt n’est plus en mesure de communier ?

BM. : Valoriser le sens eucharistique de la fin de la vie ne veut pas dire forcément donner la communion. On a trop réduit les sacrements à leur aspect matériel, en oubliant leur dimension fortement ecclésiale. Cela dit, donner la communion aux mourants est plus souvent possible qu’on ne le croit. Si la personne ne peut plus déglutir, elle peut peut-être communier avec une goutte de vin consacré. De plus, on n’a pas besoin d’attendre la dernière minute pour une célébration eucharistique. Quand il m’arrive de proposer ce rituel, je n’attends pas l’extrême fin de la vie, mais un moment favorable quand la personne est encore consciente et peut profiter de cette célébration. Beaucoup de familles m’ont dit, quand je l’ai fait, que pour elles ce moment-là avait été beaucoup plus fort que les funérailles. Enfin, même si toute communion est impossible, cela n’enlève rien à la dimension eucharistique de la mort, qui est exprimée dans le rituel de la recommandation. Il peut aussi y avoir un signe, un geste de communion avec la personne qui meurt. Je pense qu’on n’a pas encore assez réfléchi aux possibilités concrètes, plus nombreuses qu’on ne le croit, de mettre en œuvre de telles célébrations.

Notre société envisage de légaliser le suicide assisté ou même l’euthanasie. Qu’est-ce que cela pourrait changer à la préparation à la mort et à l’accompagnement du mourant?

BM. : La légalisation de l’euthanasie en ouvrant la porte à la possibilité d’en finir avec la vie fait sauter la dernière digue qui, finalement, protégeait les plus fragiles : les personnes malades en fin de vie, les personnes en profonde dépression ou en état de détresse psychiatrique, bref toute personne en grave souffrance, précisément, toutes celles qui ont besoin d’être aidées pour vivre, qui ont besoin du lien de la fraternité et du regard des autres pour apprécier la valeur de leur vie. Désormais, au lieu de les aider à vivre, la loi leur offrirait la possibilité légale d’en finir avec la vie, voire même l’obligation morale de mettre fin à leurs jours pour n’être pas un poids pour leurs proches, pour la société, dégageant celle-ci de toute responsabilité à leur égard. Se rend-on bien compte du terrible fardeau supplémentaire que nous nous apprêtons à placer sur les épaules des plus fragiles ?

Il est certain que cela constituerait une nouvelle donne pour la préparation à la mort et l’accompagnement des mourants, nécessitant un investissement plus grand encore pour que soit mis en œuvre tout ce qui peut leur procurer le réconfort physique et moral, réveiller les ressources spirituelles qui permettent de donner du sens, pour que la fraternité qui les entoure soit un appel vers la vie en plénitude. En vingt-cinq années d’expérience, j’ai moi-même été bien davantage témoin de la paix qui est possible au terme de la vie accomplie, car la mort vécue ainsi est finalement le dernier jaillissement de la vie, qui peut donner aux proches la force de continuer à vivre. La mort donnée restera toujours l’aveu d’un échec, la rupture radicale et violente de la relation, une source de culpabilité sans fin pour ceux qui restent.

Dans ce contexte, il me semble que la tradition de l’Église dont témoigne le rituel des mourants est plus que jamais d’actualité.

In « La Croix »

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